L'affaire dite "Lassana Diarra" naît du refus du joueur, qui évoluait à l'époque au Lokomotiv Moscou, d'accepter une réduction de salaire non justifiée. Les termes abusifs proposés par le club le conduisaient à rompre son contrat. En retour, le club russe lui réclamait une indemnité de 20 millions d'euros en raison de la dénonciation unilatérale de son contrat. Le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) avait donné raison au club en condamnant le joueur à verser une indemnité de plus de 10 millions d'euros à son ancien club.

Le 4 octobre 2024, la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE), plus haute juridiction de l'Union Européenne, a rendu un arrêt aux termes duquel elle considère que les règlements FIFA violent le droit européen.

Cette décision bouscule les forces en présence sur le marché des transferts.

1. Les pratiques abusives des clubs : "codébition", "lofting", pressions de tous ordres

L'affaire "Diarra" a été l'occasion d'attirer l'attention des médias et du grand public sur les pratiques abusives des clubs professionnels et sur le net déséquilibre du rapport de force au détriment des joueurs.

Pression financière et sportive sur les joueurs

Les clubs utilisent des mécanismes tels que la codébition, stipulant que si un joueur rompt son contrat sans "juste cause", son nouveau club doit également assumer une part des indemnités. Cette pratique dissuade les clubs d'embaucher des joueurs dans des situations similaires, par crainte de lourdes sanctions financières.

Récemment, la pratique du "lofting" avait également été mise en lumière par l'affaire Mbappé. Les clubs professionnels ont en effet pour habitude de contraindre un joueur à accepter leurs conditions en l'isolant (exclusion du groupe professionnel, privation d'entrainement et de compétition, etc.). Dans de nombreux cas, le joueur mis au ban du groupe professionnel voit sa valeur sportive et économique réduire et cède à la contrainte exercée par son club.

Sanctions arbitraires et disproportionnées

Pour mémoire, dans cette affaire, Lassana Diarra avait été suspendu pendant 15 mois et avait dû faire face à une amende de 10 millions d'euros, soulignant le caractère punitif et dissuasif des règles en vigueur. Ces sanctions visaient à protéger les intérêts des clubs au détriment des droits des joueurs.

Restriction des transferts

Les règlements actuels peuvent empêcher les joueurs de changer de club librement, limitant ainsi leur capacité à exercer leur profession. Cela crée un climat où les joueurs sont contraints d'accepter des conditions injustes sous peine de porter atteinte à leur carrière.

2. Les apports de l'arrêt de la CJUE : renforcer les droits des joueurs pour rétablir un semblant d'équilibre

La décision de la CJUE rebat les cartes du rapport de force entre les clubs professionnels et les joueurs en confrontant le corpus de règles du football professionnels aux textes européens.

Liberté de circulation des joueurs

La décision renforce le principe de liberté de mouvement pour les athlètes, un droit fondamental qui doit être respecté même dans le cadre des règlements sportifs. Cela pourrait limiter les abus potentiels des clubs et des fédérations dans la gestion des contrats des joueurs.

Renforcer la concurrence entre clubs pour protéger les joueurs

La Cour juge que les règles litigieuses violent les dispositions du droit de la concurrence.

Par cet arrêt elle vise à favoriser la possibilité "pour les clubs de football professionnel, de se faire concurrence pour l’accès aux ressources essentielles que sont les joueurs déjà sous contrat, en recrutant unilatéralement un joueur engagé par un autre club ou un joueur dont il est allégué que le contrat a été rompu unilatéralement sans juste cause".

Le joueur sous contrat pourrait ainsi être sollicité par d'autres clubs qui ne s'exposeront plus à des risques juridiques et financiers dissuasifs. Le pouvoir de négociation du joueur s'en trouvera mécaniquement renforcé.

Implications pour le droit du sport

Comme l'avait souligné Maciej Szpunar, Premier avocat général de la CJUE, le sport professionnel est aujourd'hui une activité économique qui appelle une régulation au même titre que les autres secteurs.

Comme le relevait déjà l'avocat général, l'industrie sportive est régie par des entités privées qui exercent des prérogatives quasi-étatiques. Les dispositions européennes relatives notamment à la liberté de circulation doivent donc leur être appliquées.

Cette affaire souligne en outre la nécessité d'une harmonisation entre le droit du travail et le droit sportif. Les athlètes doivent bénéficier d'un statut qui reconnaît leurs spécificités professionnelles tout en leur offrant une protection adéquate contre les abus.

3. Les perspectives offertes aux joueurs

La décision de la CJUE pourrait mettre un coup d'arrêt aux pratiques abusives des clubs qui avaient cours jusqu'alors. Les joueurs, leurs syndicats et leurs Conseils ne manqueront pas de se saisir de cet arrêt pour renforcer leurs droits.

Faciliter les ruptures de contrat

Les joueurs pourraient avoir plus de liberté pour rompre leurs contrats sans craindre des répercussions financières excessives. Il sera plus difficile pour leur club de bloquer tout transfert.

Réformer le système des transferts

Une révision des règles FIFA pourrait être nécessaire pour garantir qu'elles respectent les droits fondamentaux des joueurs tout en maintenant un équilibre dans le marché du football.

Renforcer la protection des joueurs

La décision pourrait inciter à établir un cadre juridique plus équitable qui protège les athlètes contre les abus et favorise un environnement professionnel sain.