La découverte de faits de harcèlement peuvent-ils conduire à la nullité de la cession d'une société ? Affirmatif, répond le Tribunal de commerce de Paris.

Retour sur son jugement du 5 avril 2024.

Promesse de cession de titres d'une agence de communication

Un groupe publicitaire s'était porté acquéreur d'une agence de communication.

Par acte du 18 septembre 2020, l'acquéreur avait consenti aux cédants une promesse d'achat de leurs titres.

#BalanceTonAgency : dénonciation de faits de harcèlement quelques jours après la promesse

Quelques jours seulement après la signature de la promesse, une campagne menée sur les réseaux sociaux et plus précisément sur la page Instagram #BalanceTonAgency, dénonçait des faits de harcèlement commis par le fondateur et dirigeant de l'agence de communication objet de la cession.

Révélés et médiatisés après la promesse, ces faits de harcèlement avaient été confirmés par une décision du Conseil de Prud'hommes.

Peu après, le 30 septembre 2020, le Promettant notifiait aux cédants qu'il suspendait l'acquisition avant de les informer, le 20 novembre 2020, qu'il renonçait à la cession.

Les cédants avaient dès lors assigné le Promettant devant le Tribunal de commerce aux fins d'exécution forcée de la promesse.

Erreur sur la réputation entrainant la nullité de la promesse

En défense, le promettant tentait de faire échec à l'exécution forcée de la promesse en invoquant tour à tour l'imprévision, l'indétermination du prix, le dol et, enfin, l'erreur.

Aux termes des articles 1132 et 1133 al. 1 du Code civil :

"L'erreur de droit ou de fait, à moins qu'elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant."

"Les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté."

Le Tribunal constatait que l'agence de communication avait elle même affirmé dans le cadre d'une autre procédure "qu’elle ne peut plus communiquer sur sa marque et a dû changer de nom pour poursuivre une activité commerciale ».

Il relevait que la campagne menée sur les réseaux sociaux avait déstabilisé de manière significative l'agence de communication en éloignant une partie significative de sa clientèle du fait de la dégradation de sa réputation. Ce battage médiatique l'avait conduit jusqu'au redressement judiciaire.

Comme le relève le Tribunal de commerce :

"La réputation d’une entreprise est un élément majeur, tout particulièrement dans le monde de la communication, et la réputation sans tache de [l'agence de communication] précédemment à la promesse d’achat, de même que sa viabilité fondée sur sa base de clientèle, avaient tacitement mais nécessairement été prises en considération par [le Promettant] comme un élément essentiel et déterminant de sa décision."

En conséquence, le Tribunal prononçait la nullité de la promesse d'achat et déboutait les cédants de leurs demandes d'exécution forcée.

Les leçons à tirer :

1. Anticiper, identifier et traiter les alertes harcèlement

Ce jugement rappelle la nécessité de mettre en place au sein de l'entreprise des procédures efficace de signalement et de traitement de faits de harcèlement.

Il ne saurait être trop rappelé que prévenir les faits de harcèlement et mettre en place les mesures efficaces pour y remédier relèvent des obligations de l'employeur (articles L. 1152-4 et L. 4121-1 du code du travail).

Il est notamment impératif de déclencher une enquête interne pour faire la lumière sur les faits de harcèlement dénoncés. Celle-ci sera utilement confiée à un conseil externe comme un avocat afin de garantir l'équité de la procédure.

2. Sécuriser les contrats de cession

Il est impératif d'anticiper et d'encadrer dans les contrats de cession et dès les avant-contrats les conséquences que peuvent avoir de tels évènements.

Selon que l'on conseille le cédant ou l'acquéreur, des mécanismes tels que la clause dite de "Material Adverse Change" (MAC), clause de bonne gestion, clause de réputation ou d'imprévision pourront être insérés dans la documentation contractuelle.

L'acquéreur prendra notamment le soin de faire préciser dans le contrat combien la bonne réputation de la société objet de la cession est un élément déterminant de son consentement.

Le cédant, pour sa part, fera face à un arbitrage délicat entre transparence et attrait pour le candidat acquéreur.

Il est absolument essentiel d'anticiper ces problématiques en se faisant assister par un Conseil qui maitrise le risque contentieux.